Interview Marc Henneaux

Marina Solvay : Professeur, vous êtes chercheur en physique et directeur des Instituts Solvay de Physique et de Chimie. Que représentent ces Instituts pour vous et qu’impliquent-ils d’un point de vue scientifique et pratique au quotidien ?

Marc Henneaux : Je pense que c’est un travail passionnant, car tout d’abord ces Instituts nous lèguent un héritage extraordinaire, mais ils recèlent également un potentiel tout aussi extraordinaire. Ce poste de directeur me permet de rencontrer des physiciens extrêmement brillants, de parler avec eux de problèmes de physique et d’avoir de nouveaux points de vue auxquels nous n’aurions peut-être pas pensé.

On rencontre aux Instituts Solvay des gens extrêmement intéressants dont on peut apprendre beaucoup, sur le plan scientifique, mais aussi sur le plan humain. Certains scientifiques vivent dans leur tour d’ivoire et se préoccupent peu des problèmes de société, mais d’autres se sentent plus engagés.

Le plus bel exemple dont nous avons bénéficié est celui de David Gross. Dans l’histoire des Instituts, un autre exemple remarquable est évidemment celui de Hendrik Lorentz, qui était un grand scientifique mais qui s’est également impliqué dans des problèmes de société. Je pense qu’il s’est notamment soucié du problème des digues aux Pays-Bas… C’était quelqu’un qui avait une vision globale de la place de la science dans la société et de l’importance de la recherche scientifique fondamentale. Il comparait la science aux autres activités humaines et évaluait son impact sur le développement de la société.

Je dirais donc que mon métier me fait rencontrer des personnes intéressantes, diverses, et c’est pour moi quelque chose que seuls les Instituts peuvent offrir, parce que leur nom, leur histoire, ainsi que le potentiel qu’ils possèdent encore sont très bien perçus dans la communauté scientifique, de sorte que des scientifiques de renom sont prêts à s’investir et à participer à leurs activités.

Marina Solvay : Quand êtes-vous entré aux Instituts ?

Marc Henneaux : J’ai commencé en 2004 comme directeur, mais j’étais déjà associé aux travaux des Instituts comme secrétaire de la Commission scientifique de Physique. Je connaissais donc déjà un petit peu les rouages et les mécanismes des Instituts. Bien entendu, je connaissais aussi les Conseils Solvay déjà bien avant d’être étudiant à l’Université libre de Bruxelles : ces images frappent l’imaginaire des jeunes gens intéressés par la physique ! J’ai succédé au poste de secrétaire à Jules Géhéniau, qui était mon professeur de physique. 

Marina Solvay : On dit que Jules Géhéniau était extraordinaire…

Marc Henneaux : Pour moi, Jules Géhéniau était extraordinaire, extrêmement fin, aussi bien dans sa compréhension de la physique que dans sa compréhension de la manière dont les hommes fonctionnent. J’ai beaucoup appris de lui.

Marina Solvay : Une personnalité semblable à celle de Hendrik Lorentz ?

Marc Henneaux : Je pense que Géhéniau avait une très grande envergure intellectuelle ; peut-être s’est-il moins engagé que Lorentz dans le fonctionnement proprement dit de la science, mais c’était quelqu’un qui était effectivement tout à fait exceptionnel.

Marina Solvay : Est-ce que ce travail parfois plus administratif de directeur des Instituts n’empiète pas trop sur votre travail de recherche ?

Marc Henneaux : Effectivement, à côté des activités enthousiasmantes, il y a un certain travail plus « administratif » à effectuer, mais je pense qu’en tant que scientifique nous avons une responsabilité qui va au-delà de faire nos recherches et que nous devons nous engager dans l’organisation de la recherche. Je pense que nous avons un point de vue à donner, que nous avons des capacités que nous pouvons faire valoir, et qu’il ne faut pas laisser l’organisation de la recherche exclusivement à des « administratifs » qui ne la connaissent pas. Je vois cela comme une partie importante de ma mission : non seulement faire des recherches, mais aussi m’impliquer dans le fonctionnement de la recherche scientifique.

Marina Solvay : Pouvez-vous nous parler des nouveaux aménagements aux Instituts ?

Marc Henneaux : Ce que nous avons voulu faire à partir de 2004 est d’essayer de tirer parti du rayonnement extraordinaire des Conseils, afin d’organiser d’autres activités qui bénéficient de l’infrastructure des Instituts, comme les colloquia, les workshops, les chaires de physique et de chimie… qui sont dirigés vers les jeunes, vers les étudiants, les doctorants et les postdoctorants.

Je pense que tout cela fonctionne bien sur le plan scientifique, car le nom « Solvay » permet d’attirer des personnalités internationales de tout premier plan. Ce sont des gens qui sont très sensibles au nom « Solvay », qui reçoivent des centaines d’invitations à participer à des activités différentes, parmi lesquelles ils doivent faire un choix. Je pense que quand il s’agit d’une invitation Solvay, ils l’acceptent sans hésiter ! C’est surtout vrai chez les physiciens parce qu’ils ont tous en tête la photo des Conseils de 1911 et de 1927. Celle de 1911 a un impact absolument extraordinaire : cette photo se retrouve d’ailleurs dans pas mal de départements de physique aux États-Unis, dans le hall d’entrée. Le nom « Solvay » est connu de tous, une invitation aux Conseils ou même à une activité des Instituts ne se refuse pas.

 

 

Marina Solvay : Pourquoi avoir imaginé des séances publiques ?

Marc Henneaux : La première séance a été mise en place en 2005, au moment du vingt-troisième Conseil de physique. Nous nous sommes dit qu’il fallait profiter de la présence à Bruxelles de grands scientifiques et d’excellents communicateurs scientifiques pour organiser des séances publiques. Celle-ci a eu lieu dans les bâtiments de la Commission européenne qui nous a apporté son soutien. Nous avons continué les séances suivantes sur le site de Flagey. Nous connaissons maintenant bien les lieux et avons une excellente relation avec leur équipe. Nous faisons salle comble parce que je pense que nous sommes connus du public intéressé par la science.

 

 

Marina Solvay : Vous vous occupez également des Instituts de Chimie ?

Marc Henneaux : Les Instituts Solvay sont à la fois des Instituts de Physique et de Chimie. Dans le passé, les Instituts étaient séparés, mais ils ont fusionné — en tous cas officiellement —  au moment où la VUB s’est séparée de l’ULB, et au moment où nous avons constitué les Instituts en ASBL, soit en 1970.

Je ne m’occupe pas seul des Instituts bien entendu, des chimistes y sont associés : le président du Comité scientifique international est Kurt Wüthrich, prix Nobel de chimie. Il y a aussi localement plusieurs chimistes de grand talent de l’ULB et de la VUB, notamment Anne De Wit, Yves Geerts, Paul Geerlings, qui sont associés à la gestion des Instituts et qui me conseillent sur les décisions scientifiques en chimie.

Marina Solvay : Y a-t-il parfois des désaccords, notamment sur les thèmes des Conseils ?

Marc Henneaux : Je ne dirais pas qu’il y a des désaccords. La philosophie des Instituts est que l’organisation scientifique des Conseils est entièrement laissée au Comité scientifique international. Dans le cas de la chimie, c’est donc Kurt Wüthrich, en concertation avec les autres membres du comité (qui sont tous des grandes figures scientifiques des États-Unis et d’Europe), qui vont décider du thème. Avant, les membres du Comité se réunissaient à Bruxelles pour décider du thème du Conseil, mais à l’âge électronique, cela se fait par un échange de mails pour essayer de converger vers un thème.

Il peut arriver que ce thème ne soit pas un thème particulièrement développé à l’ULB et à la VUB. Dans ce cas-là, il est plus difficile pour les scientifiques locaux de traiter la question des secrétaires qui vont devoir prendre note, éditer les discussions qui ont lieu à l’issue des rapports. C’est parfois difficile sur ce plan-là.

Nous avons eu ce problème pour la physique, lors du Conseil de 2008 consacré à certains aspects théoriques de la « physique de la matière condensée » qui ne sont pas très développés, ici à Bruxelles, et donc cela a été plus compliqué pour Alexander Sevrin, le secrétaire scientifique, de trouver des secrétaires… Cela s’est finalement bien passé et le Conseil a été scientifiquement excellent.

 

Comme le Comité scientifique est international, il ne se soucie pas de savoir si les thèmes choisis pour les Conseils sont développés à Bruxelles ou pas. C’est un problème inévitable, mais cela a toujours été le cas. Et les participants belges dans les premiers Conseils n’ont pas été très nombreux. Les Belges présents, alors, étaient pour la plupart des représentants d’Ernest Solvay. Mais si l’on veut que le Comité scientifique international travaille librement il faut lui laisser carte blanche, sans aucune contrainte, et c’est notre philosophie. Même si, effectivement, cela implique qu’il faut parfois gérer des problèmes posés par cette philosophie de travail.

Marina Solvay : Edward van den Heuvel  explique, à propos du Conseil Solvay de 2014, qu’il aurait pu traiter des ondes gravitationnelles s’il s’était tenu un an plus tard. Pensez-vous que la réussite d’un Conseil dépend aussi du moment précis où il est organisé dans le calendrier, en fonction des dernières découvertes ?

Marc Henneaux : Les Conseils Solvay ont toujours voulu à la fois traiter de questions aux frontières de la science, mais aussi en se positionnant à l’abri des modes. Je pense qu’il y a, à chaque fois, une sorte de « recul » par rapport aux recherches que l’on tend à mener, c’est d’ailleurs pour cela qu’il y a des rapports scientifiques qui essaient de faire l’état de la question. Un des défauts de la science moderne est lié à son mode de fonctionnement : il existe des effets de mode qui, à mon avis, prennent parfois beaucoup trop d’importance. Les techniques de financement actuelles favorisent les effets de mode et les grandes déclarations scientifiques destinées à attirer des crédits. Les Conseils Solvay sont à l’abri de cela, ils ne sont pas influencés par de grandes déclarations scientifiques dans la presse, qui ne sont pas nécessairement aussi importantes sur le plan scientifique que ce que la répercussion médiatique pourrait le laisser croire.

Bien entendu, la découverte des ondes gravitationnelles est importante ! Mais je ne suis pas vraiment convaincu que nous ayons raté quelque chose de si important. C’est un outil qui va être exceptionnel et formidable, mais cet outil ne nous a pas encore permis de découvrir « de la nouvelle physique », et je pense, donc il n’est pas grave que nous n’ayons pas fait le Conseil sur ce thème en 2015. On en a beaucoup entendu parler dans la presse, mais les Conseils Solvay ne sont pas dirigés par la presse… heureusement ! 

Marina Solvay : On trouve dans les comptes-rendus des conférences des trouvailles merveilleuses, des confrontations de scientifiques et de leurs théories qui sont tantôt remises en question, tantôt réhabilitées, parfois des années plus tard…

Marc Henneaux : Dans la mesure où ce sont des conférences « sur invitation », où l’on fait venir les plus grands experts qui dominent la science au moment où la conférence a lieu, et que ces conférences sont élitistes sur le plan intellectuel, je pense qu’il est inévitable que si ces gens jouent le jeu − et nous nous assurons qu’ils jouent le jeu, c’est-à-dire qu’ils participent aux discussions − le choc entre les idées est inévitable. Les participants auront appris quelque chose à ces Conseils parce qu’ils auront entendu d’autres points de vue que le leur et il est possible qu’ils ne puissent pas en tirer de conclusions directement, mais le processus de fermentation se sera mis en marche… L’impact ne peut se mesurer qu’à long terme, c’est la manière dont fonctionne la création intellectuelle, elle n’est pas toujours comprise, elle met du temps à décanter. Je suis convaincu que les Conseils Solvay jouent un rôle extrêmement important dans cette décantation des bonnes idées et dans la confrontation des points de vue.

Quand nous avons organisé le Conseil de 2005, nous nous posions à l’époque la question de savoir s’il fallait poursuivre sur le modèle de Lorentz, ou au contraire changer de modèle et ressembler plus à des conférences « ordinaires », ce qui commençait à être la tendance du moment. Je pensais qu’il valait mieux garder la spécificité des Conseils, et quand j’ai rencontré David Gross, qui m’a parlé des milliers de « conférences ordinaires » qui s’organisent par année, il n’y a plus eu aucune hésitation : il était clair qu’il fallait garder la spécificité extraordinaire des Conseils et ne pas changer de modèle.

On a donc maintenu le « modèle de Lorentz », et puisqu’il faut que les gens participent aux discussions, l’obligation d’être présent toute la durée du Conseil a été imposée de manière stricte. C’est difficile à obtenir, mais on y parvient. Il arrive assez souvent, à certaines conférences, que les gens viennent donner leur exposé et puis s’en vont, et donc qu’ils écoutent très peu ce que disent les autres. Cela ne sert pas à grand-chose. C’est une minorité heureusement, les gens en général participent à l’entièreté des conférences. Malgré tout, certaines « vedettes » très sollicitées ne restent parfois qu’un jour. Chez nous, ce n’est pas permis. Pour contribuer à la discussion, il faut que les gens soient présents tout le temps. L’horaire est par ailleurs conçu pour laisser une large plage aux discussions. En général dans des conférences types, les horaires des exposés sont d’une heure ce qui fait réellement cinquante minutes, auxquelles il faut ajouter dix minutes de discussion. La proportion des discussions aux Conseils Solvay est de « moitié-moitié », voire plus !

Marina Solvay : Il doit être difficile de retranscrire les discussions ?

Marc Henneaux : Il est extrêmement difficile de retranscrire les discussions. Dans le passé, je pense que ce qui était demandé juste après la session aux personnes qui étaient intervenues, c’était d’écrire noir sur blanc leur intervention. On ne le fait plus maintenant, on enregistre tout. Une des tâches des secrétaires est de retranscrire et d’éditer ce qui a été dit, pour que cela soit récupérable sous une forme acceptable, parce qu’évidemment, le langage parlé n’est pas le même que le langage écrit. Parfois, lorsque l’on parle, on revient en arrière, tandis que la pensée se structure… Il y a donc un long travail d’édition qui est fait, mais nous restons fidèles à l’esprit des interventions. En 2005, une personne avait dit quelque chose au cours du Conseil, puis s’était rendu compte que ce n’était pas correct : cette personne a voulu enlever son intervention des comptes-rendus, mais nous ne l’avons pas permis ! Par diplomatie, on l’a cependant précisé avec une note en bas de page.

Marina Solvay : Depuis votre présence à la direction des Instituts, ils ont un rôle éducatif…

Marc Henneaux : Les Instituts ont un rôle éducatif à deux niveaux. D’une part, la formation des jeunes chercheurs, et d’autre part, accueillir des événements « grand public » où nous vulgarisons la science. Le nom « Solvay », par ses Conseils, est extrêmement prestigieux dans la communauté scientifique internationale. Nous pensons que c’est un levier extraordinaire que nous devons utiliser pour contribuer justement à l’éducation et à la formation.

Une fois par an, nous organisons sur le site Flagey ce qu’on appelle L’Événement Public Solvay, qui est devenu une tradition telle que nous faisons salle comble chaque année. Nous demandons à deux orateurs qui sont de grands scientifiques — et en particulier nous choisissons les meilleurs communicateurs — de parler des problèmes importants de leur domaine, de manière à ce qu’un public intéressé mais pas nécessairement expert puisse mesurer les enjeux et comprendre les grands problèmes de cette discipline. En général, nous essayons aussi d’avoir un panel qui réponde à des questions que se poserait le grand public ; ce panel est composé de scientifiques qui ont participé aux Conseils.

Traditionnellement sur un cycle de trois ans, la première année nous organisons un Conseil de chimie avec le lendemain un événement grand public à Flagey autour des thèmes qui ont été discutés au Conseil de chimie. L’année d’après, nous avons un Conseil de physique, avec « l’événement Flagey » organisé autour des thèmes qui ont été discutés à ce Conseil de physique. Puis, il y a une année où nous n’avons pas de Conseil, et où nous sommes donc plus libres dans le choix des thèmes abordés par la journée grand public, pour lesquels on s’inspire alors de l’actualité scientifique. Par exemple, en 2015, une année sans Conseil, mais qui commémore le centième anniversaire de la théorie de la relativité d’Einstein, nous avons présenté deux exposés dont le sujet tournait autour de celui de la relativité générale.

À côté de cela, il y a toute une série d’activités qui sont ouvertes (pas uniquement sur invitation) aux gens qui veulent venir, et ce dans la seule limite de la capacité de la salle Solvay ! Ce sont des workshops, des chaires, des colloquia de physique et de chimie, où toute la communauté scientifique intéressée est la bienvenue. On y trouve essentiellement des doctorants, des postdocs, des chercheurs locaux qui y participent, en plus des invités internationaux. Et nous avons aussi parfois même des étudiants de dernière année de maîtrise.

Marina Solvay : Comment voyez-vous le futur des Instituts ?

Marc Henneaux : Il est toujours difficile de parler du futur, mais disons qu’il y a plusieurs manières d’aborder la question. Je pense que le futur de la physique est assuré : il existe d’énormes questions que nous ne comprenons pas en physique, c’est une discipline aujourd’hui toujours aussi vivante qu’elle l’était il y a cent ans. On peut en dire de même pour la chimie, il y a là de nombreuses questions passionnantes, celles permettant de « mieux comprendre la vie », jusqu’aux problèmes relevant plutôt de la « chimie physique ». Donc je dirais que ces disciplines sont loin d’avoir épuisé leur potentiel. Au contraire, plus on apprend des choses nouvelles et plus on se rend compte qu’il y en a d’autres que l’on ne comprend pas. Je dirais que ces disciplines ont un avenir brillant devant elles, et puisque l’histoire des Instituts est intimement liée à l’histoire de la physique et de la chimie, sur le plan scientifique, le futur des Instituts est assuré.

Je pense aussi que le modèle de fonctionnement des Instituts, l’histoire qui soutient ce modèle et le prestige lié aux Conseils du passé font que toutes les cartes sont dans les mains des Instituts de façon à continuer à jouer un rôle important dans le développement de la science. Donc de ce point de vue, je pense aussi que l’avenir est prometteur.

Se posent évidemment toujours les questions de financement de la recherche, mais ce sont des questions de société courantes. Nous avons la chance de nous appuyer à la fois sur la famille Solvay et les entreprises Solvay : malheureusement cela ne couvre pas tout notre budget, qui est aussi assuré par les pouvoirs politiques, ce qui est beaucoup plus aléatoire… Parce qu’évidemment nous savons que les budgets de l’État sont toujours très serrés et que l’importance de la recherche fondamentale n’est pas toujours comprise par le grand public, ni même par nos responsables politiques.

En d’autres termes c’est un combat de tous les jours, il faut toujours convaincre. C’est un travail incessant, toutefois je pense que nous réussirons dans le futur comme nous l’avons fait jusqu’ici. C’est extrêmement important.

Marina Solvay : On parle d’inscrire les Instituts au patrimoine de l’UNESCO, qu’en pensez-vous ?

Marc Henneaux : Je pense que l’impact de cette inscription sera relativement modeste. Mais cette inscription peut contribuer à un travail important que nous devons faire, celui de convaincre les pouvoirs publics du bien-fondé « de nous soutenir ». C’est essentiel pour la société. C’est difficile parce qu’il s’agit d’un investissement à long terme, et que nous sommes tellement en amont des applications pratiques que l’intérêt ou le bénéfice de soutenir les Instituts ne se voit pas sur une seule législature, mais bien à plus long terme. Beaucoup de personnes se disent « à quoi ça sert ? », « est-ce qu’il faut le faire ? »

Marina Solvay : « On a découvert la mécanique quantique, on peut s’arrêter là ! »

Marc Henneaux : Il y a de cela, certaines personnes ne savent pas que la mécanique quantique a conduit à autant d’applications !

Marina Solvay : Pensez-vous qu’un jour la mécanique quantique sera remise en question ?

Marc Henneaux : Cela dépend de ce qu’on appelle « remettre en question », elle sera sans doute dépassée. C’est un peu comme pour la théorie de Newton : la relativité générale d’Einstein en un sens montre que la théorie de Newton a des limites, mais d’autre part dans certaines conditions, la théorie d’Einstein reproduit la théorie de Newton. Donc en un sens elle dépasse la théorie de Newton, mais elle la reproduit quand celle-ci fonctionne bien. Pour le calcul du mouvement des planètes, on n’a pas vraiment besoin de la relativité générale, et on utilise la théorie de Newton pour le calcul des trajectoires satellites aussi, même si, à strictement parler, c’est la relativité générale qui est la théorie correcte…

Nous pourrions donc avoir quelque chose de semblable pour la mécanique quantique, une théorie qui la dépasse, qui la reproduit là où la mécanique quantique fonctionne bien, mais qui va peut-être au-delà, dans des régimes extrêmes comme la gravitation quantique (là où il faut mettre ensemble relativité générale et mécanique quantique). Mais la gravitation quantique n’existe pas encore, la théorie des cordes est une étape vers cette théorie, mais il y a encore beaucoup de travail à faire. C’est pour cela que je dis qu’il y a encore beaucoup de grandes questions en physique !

Je travaille sur ce problème de réconcilier mécanique quantique et gravitation. La théorie des cordes est le candidat le plus prometteur. Ce sont des idées, un cadre, mais nous n’avons pas encore les équations fondamentales de la théorie, donc il y a encore beaucoup à faire… C’est ce qui rend ce travail passionnant.