La polarisation de la Guerre froide
À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, les instituts de physique et de chimie Solvay reprennent leurs activités. L’heure est cependant à la rivalité entre l’Est et l’Ouest et les conseils Solvay, comme la science en général, en font les frais. La coopération internationale se polarise : au CERN fondé en 1954 en Suisse où se regroupent les scientifiques occidentaux répond l’Institut unifié de recherches nucléaires fondé en 1956 à Doubna, près de Moscou, rassemblant les pays communistes.
Se développe ainsi une culture du secret autour des recherches nationales financées par les Etats, en particulier dans certains domaines stratégiques. En 1962, par exemple, alors qu’a lieu le douzième conseil de Chimie portant sur les «Transferts d’énergie dans les gaz», les tensions montent entre les scientifiques soviétiques et américains.
À cette période, les deux pays se livrent en effet une course à la conquête de l’espace et la question du type de combustible à utiliser dans les navettes spatiales est un sujet particulièrement sensible (les gaz sont envisagés comme carburant). Un autre incident avait déjà eu lieu quelques années auparavant, lors du septième conseil de chimie (le premier conseil organisé après la Seconde Guerre mondiale, en 1947): le physicien Friedrich A. Paneth se voyant interdire par la loi McMahon la présentation de ses recherches pour cause de protection du secret nucléaire.
Les conseils Solvay sont également marqués par les interférences politiques et les luttes d’influence. Dès 1933, avec le départ du Soviétique George Gamow pour les Etats-Unis à la suite du conseil de physique Solvay de cette année-là, l’URSS cherche à intervenir dans le choix de ses représentants aux Conseils de physique, compliquant la tâche du Comité scientifique. S'efforçant de ménager la chèvre et le chou, les Instituts cherchent à maintenir des contacts entre les deux blocs, indispensables aux progrès scientifiques, en intégrant des représentant soviétiques dans leurs comités comme Alexander Nesmeyanov ou Lev Artsimovitch
Cette tendance à l'interventionisme politique trouve son point d’orgue en 1967 avec l’affaire Levich. Cette année-là, le chimiste Veniamin Levich, qui devait participer au quinzième Conseil de Chimie, informe Ilya Prigogine, Directeur des Instituts Solvay, qu’il ne pourra y assister, car l’Académie des sciences de l’URSS ne lui donne pas l’autorisation de quitter le territoire. En effet, Veniamin Levich, d’origine juive, veut s’exiler en Israël. L’URSS ayant peur d’une fuite définitive lui refuse toute sortie. Levich demande à Prigogine d’intervenir en sa faveur. Celui-ci écrit alors à l’Académie et à l’Université de Moscou où enseignait Levich, mais rien n’y fait, le refus est maintenu. ↠